Pour moi, vendre un titre boursier est la partie la plus complexe à maîtriser du processus d’investissement. Même au niveau des investisseurs célèbres, très peu s’avancent sur ce sujet. Un des seuls que j’ai vu qui c’était avancé avec assez de détails est Mohnish Pabrai dont j’avais couvert un de ses livres. Selon lui:
On ne doit PAS vendre à perte si:
- Cela fait moins que 2 ou 3 ans que l’on possède l’entreprise
- Quand l’entreprise est dans la tourmente
- Si on ne peut pas évaluer correctement la valeur intrinsèque
- Le prix offert est très en-dessous de notre évaluation de la valeur intrinsèque.
On doit vendre à perte avant 2 ou 3 ans lorsque ces 2 conditions sont réunies:
- On peut projeté les profits dans les 2 ou 3 prochaines années
- Le prix offert est supérieur à la valeur intrinsèque
Pour moi, cette liste est incomplète, favorise le statu quo (ne pas vendre si l’on doute ou si ça ne fait pas assez longtemps que l’on détient le titre) et est trop ambigu (« le prix est supérieur à la valeur intrinsèque »).
Les erreurs ne sont pas créées égales
Dans la vie, vous pouvez faire que deux types d’erreurs: directe ou indirecte. En statistiques, ces deux erreurs sont connues sous l’erreur de type 1 et de type 2. Dans un contexte de sélection de titres, la différence entre les deux est que l’erreur directe suit une action alors que la seconde d’une inaction.
- Acheter une mauvaise entreprise est une erreur directe.
- Ne pas acheter une entreprise extraordinaire est une erreur indirecte.
En statistique, il y a un lien entre ces deux erreurs. Si l’on veut minimiser les erreurs de type 1, on va avoir tendance à générer beaucoup d’erreurs de type 2 et inversement.
Par exemple, notre système judiciaire a opté pour minimiser les erreurs directes (mettre quelqu’un en prison qui n’a pas commis de crime) au prix de commettre davantage d’erreurs indirectes (ne pas mettre en prison quelqu’un qui l’aurait mérité). On juge que l’erreur directe est insupportable (« sans aucun doute raisonnable »), donc les erreurs indirectes sont assurément nombreuses.
Dans mes achats, je privilégie d’éviter le plus possible les erreurs de type 1, car ces erreurs ont un impact direct sur mon portefeuille. Cela implique que je dois être prêt à manquer de nombreuses opportunités. La bonne nouvelle est que, pour un achat, l’erreur de type 2, n’a aucun impact sur votre portefeuille. Vous pouvez réaliser autant d’erreur de type 2 que vous voulez, tant que votre décision d’achat finale tombe sur un titre performant. Warren Buffett l’a illustré à plusieurs reprises avec une analogie de baseball.
The trick in investing is just to sit there and watch pitch after pitch go by and wait for the one right in your sweet spot. And if people are yelling, ‘Swing, you bum!,’ ignore them.
Warren Buffett
Vos « pertes » avec ces erreurs de type 2 sont fictives. Les fameux « j’aurais pu faire X ». Les erreurs indirectes s’oublient assez rapidement. Psychologiquement, je vis très bien avec le fait de ne pas avoir acheté Apple/Microsoft/NVIDIA en 2019 par exemple.
Ainsi, pour l’achat, l’erreur directe est celle que que l’on est moins psychologiquement à l’aise de faire et c’est celle-ci que l’on doit éviter à tout prix. Il y a une symbiose entre ce qui est psychologiquement douloureux et ce que l’on doit effectivement faire. Notre portefeuille et notre tête sont alignés pour éviter les erreurs de type 1.
Pourquoi vendre est si difficile
Dans le cas d’une vente:
- Si vous vendez un bon titre, il s’agit d’une erreur directe.
- Si vous ne vendez pas un mauvais titre, il s’agit d’une erreur indirecte.
Dans ce contexte, il est moins pire de vendre une bonne compagnie (faire une erreur de type 1) que de garder une mauvaise. En vendant une bonne compagnie, vous avez une possibilité de racheter une mauvaise compagnie ou une extraordinaire. Ainsi, la bonne compagnie a 50% de chance de se faire remplacer par quelque chose de similaire. Si vous gardez une mauvaise compagnie, vous avez 100% de chance de toujours avoir une mauvaise compagnie.
Si l’erreur de type 2 est celle que l’on doit minimiser, cela implique que l’on augmente le nombre de fois que l’on vend une bonne compagnie pour de mauvaises raisons. Le problème est que la peur de passer à côté est forte. C’est ce qui rend la vente d’entreprise difficile. C’est un peu se dire que l’on pourrait avoir vendu Apple en 2012 ou bien la peur que le titre rebondisse juste après la vente. Le regret d’avoir vendu une perle est immense. De plus, certaines de ces positions sont à perte et les cristalliser est un élément douloureux psychologiquement.
Contrairement à l’achat où l’aspect psychologique et statistique sont alignés pour maximiser les bonnes décisions, c’est l’inverse pour la vente. À cause de facteurs psychologiques, les investisseurs ont tendance a être trop patient avec des compagnies qui n’en valent pas suffisamment la peine, malgré l’impact réel que cela a sur leur portefeuille.
Et si l’on simplifiait la décision de vendre?
Pour faciliter l’aspect psychologique, plutôt que de me concentrer sur ce qui pourrait se passer dans la prochaine année, je me projette sur 10-15-20 ans. Quelle compagnie selon moi fera mieux du point de vue fondamental? La décision devient généralement plus simple vu sous cet angle. S’il s’agit d’une compagnie moyenne, j’aurai tendance à trouver qu’elle n’aura pas une performante si éclatante dans les 10 à 20 prochaines années. Même si j’ai eu des regrets peu de temps après avoir vendu certaines entreprises à cause de rebond de court terme, à ce jour, je n’ai pas eu de regrets sur un horizon un peu plus lointain (2 à 3 ans), bien au contraire.
Au niveau fondamental, ma décision de vendre est généralement faite en comparant deux entreprises plutôt que de regarder d’un point de vue absolu.
- Si je juge que la valorisation et la croissance anticipée (et non historique!) est plus attrayante pour une compagnie que je ne possède pas, je me dois de vendre ma compagnie en portefeuille et acheter la nouvelle compagnie.
- Si une nouvelle compagnie a une croissance/valorisation plus attrayante et que la valorisation/croissance est équivalente à celle que j’ai en portefeuille, je procède aussi à l’échange.
- Si la croissance anticipée/valorisation est meilleure pour la nouvelle compagnie, mais que la valorisation/croissance anticipée est moins attrayante, je tends à choisir le statu quo, car je n’ai pas une assez grande certitude.
- Si ma compagnie en portefeuille est meilleure en tout point (valorisation/croissance anticipée), évidemment, je la garde en portefeuille.
Le facteur temps n’a pas d’importance. Il m’est arrivé d’acheter une compagnie et de la vendre 1-1.5 ans après. Avoir attendu 2-3-4 ans aurait été catastrophique et l’avoir réalisé en 6 mois m’aurait fait sauver beaucoup d’argent. Suite à cet apprentissage, il m’est arrivé à une occasion de revendre une compagnie que j’avais acheté 2 semaines auparavant, cristallisant ainsi une perte de 5%. Avoir réalisé ce 5% de perte en l’espace de 2 semaines est probablement dans l’une de mes meilleures décisions d’investissement à ce jour. L’entreprise vendue a réalisé environ 7% par année dans les deux années qui ont suivi, ce qui aurait été tout à fait respectable. Toutefois, l’investissement dans les deux autres a réalisé un rendement d’environ 40% par année. Le plus rapidement que l’on reconnait ses erreurs et le moins que l’on en subira les conséquences.
Time is the friend of the wonderful company, the enemy of the mediocre.
Warren Buffett
Il est raisonnable de réduire la position plutôt que la vendre entièrement. Personne n’a dit que l’on devait vendre une position entière d’un seul coup. Similairement, je ne construis pas une position dans un titre en un seul achat. Y aller par étape permet de limiter les biais psychologiques et permet de limiter les dégâts potentiels plus rapidement.
Une mauvaise performance du titre ne doit pas être confondue avec la mauvaise performance de l’entreprise. Il m’arrive d’avoir des compagnies extraordinaires qui perdent 20% alors que mes compagnies moyennes gagnent 20%. C’est le moment idéal pour les échanger à des prix favorables.
Si vous gardez le titre uniquement parce que le prix pourrait rebondir, c’est pour moi le plus grand drapeau rouge. Vous gardez le titre par peur plutôt que par conviction.
« The sucker’s going up » is never a good reason (to own a stock).
Peter Lynch
Ne pas vouloir vendre à n’importe quel prix semble raisonnable, mais c’est bien souvent un piège qui vous condamne à garder une mauvaise entreprise en portefeuille. Vous pourriez grandement surestimer la valeur réelle de l’entreprise. Vous avez un fort potentiel d’avoir un biais, car vous l’avez acheter probablement à un prix supérieur au cours actuel. Seriez-vous aussi conciliant si vous deviez initier une position sur le titre? Probablement que non
Le journal d’un investisseur
Je suis à la retraite, alors je ne vends généralement pas une compagnie pour en acheter une autre.
Ce sont toutes de bonnes entreprises, alors c’est parfois très difficile d’avoir à choisir laquelle vendre entre 2 ou 3 ou 5 bonnes compagnies.
Alors, il m’arrive souvent de vendre 50% de celle-ci et 50% de celle-là.
Quand on n’a pas de grandes convictions, c’est tout à fait acceptable de vendre de façon égale les différentes entreprises. C’est une forme de diversification! On risque de vendre un peu de la compagnie qui ferra le mieux dans la prochaine année, mais au moins on vend aussi un peu celle qui aura la pire performance!